Le cabinet CHOL,
invité du Palais Éphémère à Paris
Dans le cadre des Salons Internationaux du livre rare et des experts en objets d’art se tenant à Paris au Palais Éphémère, Champ de Mars du 24 au 26 septembre 2021 et invité par la Chambre nationale des experts spécialisés, Daniel Chol, assisté de Jean Chol, a proposé une conférence pour découvrir le métier d’expert en assurance.
Bienvenue aux experts d’art dans le monde merveilleux de l’assurance et, tout particulièrement, dans le monde de l’assurance des objets d’art et précieux… Un monde né il y a plus d’un demi-siècle à l’aube des Trente Glorieuses.
Un monde nouveau qui s’est avéré très vite être un véritable Eldorado pour une bonne partie des experts d’art tout particulièrement non marchands. Un monde nouveau, créé par une poignée de sociétés d’assurances anglo-saxonnes et germaniques dans le souci de combler un segment assurantiel émergeant destiné au service d’une clientèle cultivée et aisée, sensible à la protection de son patrimoine mobilier contre le vol, le dégât des eaux, l’incendie ou les dommages aux biens relevant de la responsabilité civile ou professionnelle. Dans cette première révolution qu’aura connu la profession, un certain nombre d’experts d’art généralistes aura trouvé un terreau fertile pour asseoir sa notoriété et récolter les fruits d’une collaboration providentielle avec les sociétés d’assurances grâce à la manne salutaire offerte par ces récents donneurs d’ordres.
Devenu de facto un partenaire privilégié du souscripteur de l’assurance, l’expert d’art, par sa connaissance des valeurs historiques, esthétiques et financières des pièces mobilières rares devant faire l’objet d’une assurance, a pu s’imposer et très vite devenir un acteur majeur, adoubé et agréé par les sociétés d’assurances, au cœur de ce marché de niche.
Plus tard, appelé par les services de règlements des sinistres objets d’art et précieux des sociétés d’assurances, l’expert d’art sera sollicité une fois de plus pour collaborer avec ces dernières en assurant, de façon d’abord ponctuelle, son assistance en tant que sapiteur. Un rôle nouveau et sporadique mais qui aboutira rapidement à une activité croissante et ira jusqu’à obliger ces mêmes sociétés d’assurances à s’adjoindre très vite, peut-être d’ailleurs un peu trop vite mais à part entière, une foultitude d’experts que je qualifierai d’« experts-enfants ». Des experts-enfants qui sont venus gonfler les rangs des cabinets généralistes de plus en plus sollicités par ces mêmes sociétés d’assurances en matière d’objets d’art et surtout de bijoux, amorçant à marche forcée ce que l’on pourra appeler une deuxième révolution dans notre profession qui est, malheureusement, devenue un royaume d’aveugles laissée aux mains de borgnes.
Un constat qui nous emmènera à vous inviter d’abord dans le monde merveilleux de Lewis Carroll et vous faire ensuite découvrir un véritable malaise dans le monde actuel de l’expertise qu’on pourra qualifier de syndrome de l’expert. Un bilan qui atteste de la gangrène de notre profession et qui nous exhorte à conclure qu’elle peine à se discipliner malgré les admonestations réitérées de nos chambres d’experts et qu’elle doit être particulièrement vigilante sur son avenir en multipliant les garde-fous dont la nécessité se fait davantage sentir à l’heure de sa totale mutation.
Installé à Aix-en-Provence depuis 1981, le cabinet d’expertise mobilière que j’ai créé compte plus de 70 000 dossiers en préalable pour assurance.
Au début de ce qui pouvait être qualifié d’aventure pour un grand nombre d’amis, universitaires ou professionnels, du marché de l’art et des antiquités, professeurs d’histoire ou antiquaires, personne n’aurait oser miser un kopeck sur le succès d’une création ou la survie potentielle d’un cabinet d’expertise en province d’autant plus que, je n’étais alors pour les premiers qu’un thésard, un scribouillard de l’histoire de la peinture provençale du XVIIIème siècle, et, pour les seconds, avec ma carte d’expert d’art, qu’un mauvais marchand.
Et ce n’était ni le titre hyper-confidentiel d’expert spécialisé reconnu par la Chambre nationale des experts spécialisés depuis 35 ans (catégorie : dessin français au premier quart du XVIIIème siècle) ni l’inexistence d’un réseau de souscripteurs d’assurances, qui allaient me suffire pour conquérir et surtout me permettre de couvrir le marché expertal qui m’était potentiellement offert par les sociétés d’assurances et leur clientèle en province, collectionneuses d’objets d’art.
Et comme un problème n’arrive jamais seul, cerise sur le gâteau, le président de la République de l’époque, François Mitterrand, allait être à la limite de faire écrouler mon Eldorado en créant, en 1982, un nouvel impôt sur le patrimoine mobilier des Français, l’Impôt sur les Grandes Fortunes.
Mais suivant l’adage qui promet une embellie une fois les orages passés, la densification de mon C.V. avec de nouveaux agréments auprès des douanes et des instances judiciaires m’enhardirent dans cette voie choisie en m’assurant une légitimité qui me permit de passer par la grande porte de l’assurance et m’offrir une pluie de missions qui allait permettre à mon cabinet de se structurer et de s’imposer régionalement.
Bizarrement, cette chance, je la dois aussi en partie à Patrick de Buttet, président de l’Appap, le premier à avoir compris parmi les experts généralistes en assurances que ce nouveau marché ne pouvait qu’être exponentiel tant les demandes se multipliaient. Son cabinet, l’Appap, fit florès à Paris dans les années 80 et je dois tout particulièrement à ce directeur visionnaire dans le milieu de l’expertise d’art en assurance, l’art et la manière d’appréhender un dossier d’estimation et d’évaluation mobilière. Sur le point d’ailleurs de m’associer avec lui pour la création d’une antenne méditerranéenne, j’ai dû au bout de six mois, renoncer à ce partenariat pour des raisons déontologiques et jouer, seul, la carte provinciale.
Tout frais émoulu de cette expérience, je pensais, après avoir fait un stage à l’Appap, avoir compris le métier d’expert d’art généraliste en assurance. De plus, l’arrivée de mon frère, Jean, de même formation et bardé de diplômes, expert près la Cour d’Appel d’Aix-en-Provence, assesseur de la Commission de conciliation et d’expertise douanière et surtout expert membre de la CNES, apportait une caution de garantie supplémentaire à ma petite entreprise.
Nos inventaires clairs et précis composés de rubriques énumérant les bijoux, les montres, l’argenterie, les meubles, les objets d’art, les tableaux et les tapis et autres éléments d’un patrimoine mobilier, séduisirent aussitôt nos clients.
D’autant plus que ces inventaires étaient – et sont toujours faits – pour que les souscripteurs de contrat en multirisque habitation et surtout en valeur agréée, puissent sérier au plus près et au plus vite les biens meublants ou précieux selon leurs conditions générales.
Très vite, nous devinrent auprès de nos clients, en plus de nos fonctions d’expert, leur conseiller, leur exégète, en leur traduisant au plus clair leur contrat d’assurance, leurs garanties, leurs obligations, leurs exclusions.
Pour illustrer par le petit bout de la lorgnette ces propos relatifs à l’herméticité des contrats et à leur nécessaire traduction lexicale, quel meilleur exemple que celui du malentendu provoqué par les notions de valeur agréée et de valeur déclarée, notions essentiellement manipulées dans les contrats tous risques objets d’arts reconnus par ailleurs pour engendrer un taux record de conflits après sinistre !
C’est un fait, et tout le monde est prêt à témoigner, que le diable se cache très souvent dans les détails… Pour les béotiens que sont les assurés, il se dissimule dans les clauses des contrats d’assurances et, notamment, dans les interlignes. Sur le luxueux papier glacé des « contrats d’assurances tout risque », la Rolls Royce pour des collectionneurs d’objets d’art, les garanties apparaissent à première lecture mirifiques et totales : assurer un tableau, pour un client amateur d’art, c’est avoir la garantie qu’en cas de sinistre (vol, dégâts des eaux ou incendie), ledit tableau lui sera remboursé intégralement sur la valeur préalablement souscrite.
Mais cette prévision ne se réalisera qu’à la seule condition que, toutes les clauses contractuelles ayant été respectées, la police d’assurance ait bien été souscrite en valeur agréée et non pas en valeur déclarée. Qu’est-ce qu’une valeur agréée ? C’est une valeur acceptée de gré à gré entre le collectionneur et l’assureur à la sousciption : un engagement de ce dernier à débourser, le moment venu, la somme convenue moyennant une actualisation régulière. Qu’est-ce que la valeur déclarée ? C’est une valeur indicative, communiquée par le seul collectionneur au moment de la souscription, qui sera librement appréciée par l’expert de l’assureur, au moment du sinistre, sur tel ou tel marché de référence contractuellement défini (ventes publiques, marché de l’occasion…).
Vous imaginez aisément quelle insatisfaction peut alors ressentir un collectionneur qui, croyant avoir opté pour une indemnisation intégrale de son tableau, n’en reçoit qu’un remboursement partiel. Un sentiment de trahison.
Mais arrêtons là ces embrouillaminis assurantiels émanant principalement du babélisme des contrats : exigeons de l’expert qu’il soit aussi, pour son client, un guide et devenir le seul à pouvoir l’exfiltrer du monde obscur des polices d’assurances.
Tant que le marché de l’expertise en préalable était régi en matière technique par des experts avérés, capables d’expertiser des bijoux ou des objets d’arts grâce à leur formation et leur expérience du terrain avec la deuxième révolution, notre profession n’avait rien à redouter. Mais, depuis quelques années, elle s’est vue bousculée par l’arrivée d’une meute de jeunes experts, embauchés à la va-vite par les réseaux nationaux d’expertise dans le but de capter la clientèle des assureurs : ces jeunes prétendants, qui ne portent le nom d’expert que par habitude, sont majoritairement recrutés, non pour leur compétence en objet d’art et précieux ou leur expérience, mais pour leur capacité d’abattage.
Une armée mexicaine à coup sûr économiquement séduisante pour les sociétés d’assurances en quête de nouveautés technologiques et procédurales telles que les expertises à distance (télé et visio-expertises) pour optimiser leur propre rentabilité !
Mais qu’en est-il de la qualité de la prestation délivrée et du respect dû au patrimoine de l’assuré ?
Aussi, c’est avec beaucoup de réserve que je parlerai aujourd’hui de cette seconde révolution dans notre métier d’expert d’art qui, axée sur le seul profit, continue à faire trembler les anciens dont je fais partie et qu’il m’est difficile, à ce titre, d’accepter aujourd’hui. Intellectuellement et déontologiquement.
Me viennent à l’esprit ces quelques lignes d’Alice au pays des Merveilles de l’auteur Lewis Carroll qui, avec Sandra Stein, psychanalyste, me font m’interroger sur les propos délirants de la jeune héroïne lors de sa chute dans le terrier à la poursuite d’un drôle de petit lapin aux yeux roses, portant une redingote noire, avec une montre à sa patte et criant : « Oh mon Dieu, je suis en retard », « Oh mon Dieu, je suis en retard ». Dans la même veine aussi abracadabrantesque, Alice s’interroge naïvement : « Un chat mange-t-il les chauves-souris ou les chauves-souris mangent-elles les chats ? ». Interrogeons-nous également, mais sur la pertinence de la question. En fait, l’héroïne de Carroll ne risque rien à y répondre car il n’y a personne autour d’elle pour la contredire. Elle peut même s’autoriser à parler comme une savante, bien qu’elle se sache ignorante, mais qu’importe… personne n’est là pour la juger.
Cela me rappelle les questionnements des jeunes enfants à propos du fonctionnement du monde. Pourquoi ceci, pourquoi cela ? Pourquoi les chats ne mangeraient-ils pas les chauves-souris ? Après tout, si elles portent le nom de souris, ce n’est pas si idiot que de se poser la question… Pures réflexions d’enfants qui mélangent sans complexe l’imagination et l’envie de savoir.
Cette digression, qui peut paraître incongrue, ne l’est en fait pas plus que la question d’Alice : en matière d’expertise, tout et son contraire peuvent aujourd’hui être dits.
Et c’est ce qu’il se produit lorsque nous rencontrons ces « enfants-experts » dans des réunions contradictoires et qu’ils essaient vainement de défendre leur position technique.
Ces jeunes, souvent débutants et inexpérimentés, sont devenus en quelques années les acteurs principaux d’une parodie de l’expertise que les instances de leur profession, souvent complices, ont parfois habillés d’un pseudo agrément interne (la « certification » vol). Une distinction satisfactoire délivrée dans un entre-soi qui a de quoi inquiéter…
Il faut se souvenir que le titre d’expert d’art n’est pas protégé : seule l’inscription sur une liste d’experts près une Cour d’appel permet d’en revendiquer la légitimité. D’ailleurs, ne suffit-il pas de parler d’inventaire, d’avis dans les dossiers, pour être protégé de toutes poursuites judiciaires en cas d’erreur ?
Sans vouloir médire sur cette nouvelle profession d’expert généraliste d’assurance, il est primordial de nous interroger sur le sujet de la formation et convenir, pourquoi pas, de passerelles pérennes avec nos chambres d’experts spécialisés.
Et ce, afin de protéger à l’avenir notre corporation et d’éviter de nous retrouver dans des situations ubuesques pouvant discréditer une profession aux yeux de mandants heureusement encore trop souvent aveugles… Mais jusqu’à quand ?
Pierre Corneille faisait dire à son héros Rodrigue : « Je suis jeune, il est vrai, mais aux âmes bien nées, la valeur n’attend point le nombre des années ». Vingt-deux siècles plus tôt, le philosophe Socrate écrivait : « Ce que je sais, c’est que je ne sais rien ». N’atteignons-nous pas là, la notion mystérieuse de syndrome de l’expert, ce que les psychologues américains Dunning et Kruger appellent dans leur étude « l’effet de surconfiance » par biais cognitif selon lequel, les moins qualifiés dans un domaine, surestiment toujours leur compétence. Les deux chercheurs américains ont même réussi à modéliser ce phénomène par une courbe dans un repère orthogonal où l’on trouve, en abscisse, la compétence (qui va du statut de débutant à celui d’expert) et, en ordonnée, la confiance.
L’allure de cette courbe dessine nettement, dans le début de son tracé, deux pics inversés (up and down) : le premier (up), dénommé « montagne de la stupidité », apparaît en début de graphique et correspond à l’intersection du maximum de la confiance et du minimum de la compétence du praticien.
Les psychanalystes ont en effet observé que, presque toujours, les débutants sont dans une configuration de confiance absolue et qu’ils exagèrent trop souvent leur maîtrise des sujets.
Le second pic (down), modestement nommé « vallée de l’humilité », illustre l’incidence de la montée en compétence du praticien qui provoque, a contrario, une perte induite de confiance.
Ce n’est qu’après avoir dépassé ces deux stades que le praticien peut, enfin, raisonnablement envisager d’atteindre une phase de plus grande conviction, ce que les scientifiques ont appelé le « plateau de la consolidation », dans laquelle il pourra puiser une véritable connaissance densifiée propre à l’expert avéré.
Le corollaire de cette étude scientifique nous apprend que l’expert qui maîtrise le mieux son sujet, a finalement tendance à sous-estimer sa compétence et à penser que ce qui est simple pour lui, l’est également pour les autres et, ainsi, à minimiser la puissance et le pouvoir de son expertise. Cet excès de doute, propre de l’expert confirmé, est symptomatique d’un stade où sa connaissance et sa maîtrise d’un sujet sont banalisées à ses yeux.
Aujourd’hui, il faut admettre que la profession d’expert d’art généraliste en assurance, ne s’improvise pas : au contraire, elle s’apprend. Aussi, les sociétés d’assurances ont tout à gagner à utiliser les compétences, si elles sont vérifiées, de leurs prestataires pour les multirisques habitation et assurances tous risques, à la condition expresse qu’elles soient irréprochables.
Mais ce partenariat avec les experts d’art généralistes issus de la première révolution a quelque peu vieilli, non sur le fond bien entendu, mais surtout sur la forme. Et c’est ce deuxième train, celui apparu lors de la seconde révolution, que certains d’entre nous ont eu du mal à prendre.
Les nouvelles technologies digitales ont perturbé nos intellects et certaines nous ont laissé pantois tant l’invraisemblance du concept, comme celui de « la visio-expertise » par exemple, est irréelle et peu concevable.
Quoiqu’il en soit, un grand nombre d’entre nous s’est familiarisé aux demandes des sociétés d’assurances toujours à la pointe du progrès et a accepté de se plier aux nouveaux process qui lui ont été proposés (voire imposés) d’utiliser.
Nous nous sommes aussi par la force des choses googlisés… safarisés … Et avons pu aussi constater très vite que la surinformation qui en résultait était loin de présenter toutes les garanties techniques requises et utilisables dans notre métier. Un métier qui aura vraisemblablement du mal à se robotiser : ce qui nous assurera encore quelques années de répit… Le temps au moins d’avoir eu l’occasion de nous rendre toujours indispensables en repeignant, en lettres d’or, le blason de notre profession.